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Manifeste - Apprendre à causer !

Laura Sibony

Toutes les grandes gueules se ressemblent, mais chaque timide l’est à sa façon.

Il y a ceux qui ont beaucoup à dire, mais qui ne parlent que si on les interrogent, et ceux qui pensent n’avoir rien à dire ; il y a ceux qui sont très à l’aise avec leurs amis et paralysés devant des inconnus, et au contraire ceux qui ne se livrent que dans l’anonymat ; ceux qui aiment parler mais n’osent pas, ceux qui oseraient bien mais n’aiment pas. On en voit qui perdent leurs moyens dès qu’apparaît l’ombre d’un micro ou d’une caméra, et d’autres qui ont besoin de ce prétexte pour se croire légitimes ; ceux qui ne parlent que lorsqu’on les écoute, et ceux qui parlent pour qu’on les écoute. Il y a de faux timides et de vrais réservés, des angoissés, des taiseux, des indécis et des modestes. Bref : il y a mille raisons de se taire.

Et il n’y a qu’une raison de parler : faire passer ce qui se trouve dans votre esprit à celui de vos auditeurs, de la façon la plus fidèle et la plus juste possible. Seulement, entre ce que vous voulez dire, ce que vous dites, ce que vous croyez avoir dit, ce que vos auditeurs ont entendu, ce qu’ils ont compris, et ce qu’ils auront retenu… que d’obstacles à franchir ! C’est pour cela que la parole est toujours, plus ou moins, un exercice théâtral. Il ne s’agit pas d’être quelqu’un d’autre, de jouer les mini-de Gaulle ou les néo-Cicéron. Soyez vous-même… version plus. Il faut forcer le trait : se tenir plus droit que naturel, parler plus fort, articuler plus énergiquement, exagérer les émotions, forcer les silences… il faut être « plus vrai que nature », pour dépasser ces barrières de la scène, ces murs de verre qui séparent votre message de votre public.
Souvenez-vous surtout que le lecteur est un ami : il a choisi son livre, il lui consacre son temps, il l’emporte parfois dans son lit, si le monologue de l’auteur l’ennuie il peut le fermer. L’auditeur est un partenaire : il peut construire le discours avec vous, ou vous trahir. Il n’a pas toujours choisi de vous écouter. Il pense à autre chose, son regard se perd par la fenêtre, il se demande ce qu’il mangera ce soir. À vous de capter son attention, et si possible sa bienveillance. À vous surtout de vous mettre à sa portée : il faut tout lui illustrer, puisqu’il n’est pas dans votre tête, ne voit pas ce que vous voyez, ne peut pas revenir en arrière s’il a manqué un mot ou s’il a un doute.

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